Ci-dessous mes réponses au "Questionnaire décalé de Jean Morzadec", (partenaire de france-info, le choixdes libraires.com, etc.), à propos de PAPIER MACHINE
1) Qui êtes-vous?
Une élève dont les rédactions étaient balafrées de rouge : « Hors-sujet », « exagéré », « saugrenu »... Et quelques décennies plus tard, une romancière qui travaille beaucoup et longtemps. Je rabote, je scie, je ponce, jusqu'à ce que la phrase tombe juste. Mon obsession : happer le lecteur, le garder prisonnier de la première à la dernière ligne. Au lieu de sauter des pages ou d'en parcourir en diagonale, je voudrais qu'il lise chaque mot de chaque phrase de chaque chapitre.
Et qu'ensuite, il en redemande.
2) Quel est le thème central de ce livre ?
L'amour entre un professeur de lettres et une infirmière, qui rêvent tous deux de devenir écrivains. Touché par le manque d'expérience de la jeune femme, il s'ingénie à guider ses premiers pas dans l'écriture, la conseille. Pourtant c'est elle qui parviendra à terminer, puis à publier son roman, tant que lui-même semble saisi, devant sa feuille, d'une insurmontable angoisse. Elle perçoit bientôt dans cette dérobade, un secret, un mystère. Tout ce qui aurait pu les réunir les sépare.
L'héroïne poursuit sans lui sa route de romancière, élevant seule la petite fille qu'ils ont eue ensemble. Jusqu'au jour où cet homme, son amour de jeunesse, réapparaît dans sa vie...
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
« Puis je sens le genou de l'Homme-à-la-poupée frôler le mien, il a dû bouger pendant que j'apportais les fruits, je feins de ne rien remarquer, la peau de ma gorge s'embrase de la naissance des seins jusqu'à mon cou, de petits picotements caractéristiques qui précèdent de peu le désir, comme si mon corps savait avant mon cerveau : plus malin, moins hypocrite ou moins peureux. »
4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
Le concerto N°2 de Rachmaninoff, avec Vladimir Horowitz au piano.
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
Mon désarroi devant notre société d'abondance. Une société « évoluée » (quoique...), de plus en plus exigeante, et qui fabrique des individus de plus en plus seuls. Car cette profusion, nous devons en retour, l'exploiter, en tirer parti. Nous devons être au top et c'est épuisant. Nous devons consommer, profiter de notre chance, faire valoir des droits souvent chèrement acquis. (Droit à l'allocation X, au prêt Y, à la subvention Z. D'ailleurs, comment s'en plaindre, alors que des gens qui travaillent à plein temps vivent dans une pauvreté proche du dénuement ? Juste une petite remarque: faire valoir ces droits nécessite en soi presque une formation (mais le droit à la formation existe aussi, c'est entendu). Il faut monter un dossier, réunir des attestations, remplir des formulaires, cocher des cases. Appuyer sur la touche truc, composer les 5 derniers chiffres de son numéro de machin, dire à voix haute INFO ou CONTRAT, prévoir douze minutes d'attente, écouter Le Printemps de Vivaldi en boucle et retourner au menu principal. En contrepartie, entendre une voix humaine au bout du fil (non, pas une voix enregistrée sur un répondeur : la vraie voix d'une vraie personne), bref, parler à un être humain sans être interrompu, même si on bafouille un peu, relève du tour de force.
Après la tempête Xynthia qui fit dans mon île de terribles dégâts, une solidarité se mit aussitôt en marche, spontanée, irrépressible. Malgré les circonstances tragiques qui l'avaient provoquée, tous semblaient presque heureux d'aider, de porter secours. De partout affluèrent des couvertures, des vivres, des chauffages d'appoint. On nourrissait, on consolait, on hébergeait. Il se trouva un sinistré pour dire en pleurant qu'il n'aurait pas cru ça possible, et il ne parlait pas de l'état de sa maison. Ne savons-nous être fraternels que dans la détresse ou l'urgence ? Voilà la question que je me pose. Sans doute « saugrenue » ou « exagérée ». Ou décalée, comme on dit maintenant.
Corinne Roche